Près de 60.000 familles sont
annuellement confrontées à une décision d'orientation contraire à leur demande.
Parmi elles, 15.000 font appel, pour un taux de satisfaction de l'ordre de
30 %.
«Au regard des 3 millions d'élèves
scolarisés, ce phénomène semble marginal. Mais son impact en termes de
représentation est considérable. Ce conflit frontal donne une image très
négative de l'école», commente Georges Fotinos. Ce spécialiste des questions
de violence scolaire évoque une «orientation subie, vécue par les
familles une injustice, une agression et un pouvoir absolu qui détériore le
climat scolaire».
Et ce n'est un secret pour personne
que cette orientation «subie» concerne avant tout la voie professionnelle.
Ainsi, 10.000 élèves sont annuellement affectés «d'office» en lycée
professionnel. «Notre système fonctionne comme une gare de triage, estime le
chercheur. Et la plus belle gare, c'est le CM2, avec l'orientation en Segpa».
(section d'enseignement général et professionnel adapté).
Alors que de nombreux faits divers se
font l'écho de conflits parfois violents opposant parents et professeurs, cette
orientation subie apparaît comme un point de tension essentiel. «Si les parents
veulent s'introduire dans la pédagogie de manière si violente et si les
professeurs se retirent derrière leur professionnalité, c'est parce qu'il
n'existe pas de lieu de dialogue», estime Georges Fotinos, évoquant le
«malentendu» et la «défiance» entre les deux parties. Et de citer le Québec, où
les parents jouent le rôle de nos inspecteurs de l'éducation (IEN)… Mais tout
le monde ne partage pas son point de vue.
Logique de «l'école du désir»
Les débats sur la question, suscités
dans le cadre le projet de refondation de l'école porté par Vincent Peillon,
attestent de positions radicalement opposées. Alors
que le rapport de la concertation sur l'école préconisait en octobre de
«donner davantage de liberté aux familles dans l'orientation», le ministre
avait choisi de ne pas le faire figurer dans son projet de loi. Mais le sujet
était revenu sur le tapis avec un amendement déposé mi-décembre devant la
commission des affaires culturelles de l'Assemblée. Article finalement retiré
du projet lors des discussions à l'Assemblée, le 16 mars.
À son tour, la rapporteure du projet
de loi au Sénat, Françoise Cartron (PS, Gironde), s'est emparée de la question
affirmant vouloir renforcer «la place des parents». Vincent Peillon rappelle de
son côté qu'il procédera à une expérimentation sur l'orientation choisie par
les parents à la rentrée, tout en précisant qu'«il est difficile de gérer les
flux scolaires en cédant aux souhaits des parents, idée certes généreuse, car
chacun risque de vouloir la même chose.»
Cette série d'allers-retours prouve,
s'il en était besoin, la difficulté à aborder ce délicat sujet. Parlementaires
semblent tomber d'accord pour limiter le pouvoir des parents, et éviter, de
fait, une incontournable levée de boucliers chez les enseignants et leurs
représentants syndicaux.
«Ajouter une telle disposition au
projet de loi reviendrait à le dénaturer de tout ce qu'il a de positif, à
s'éloigner de l'école qui instruit, estime Albert-Jean Mougin, vice-président
du Snalc. Laisser le choix de l'orientation aux parents, c'est se placer dans
la triste logique de l'école du désir et non du savoir». Au-delà, il estime que
«le domaine scolaire est la propriété du corps professoral». Posture qui
n'exclut pas les échanges entre les deux mondes.
Après l'époque des «parents
assujettis» avec l'instauration de la République, puis celle des «parents
partenaires» avec la loi Jospin de 1989, nous voici désormais, selon la
sociologue Françoise Lorcerie, dans l'ère des «parents clients». À quand la
«coéducation» rêvée par Georges Fotinos? La FCPE, première fédération de
parents, milite farouchement en ce sens. Moins radicale, la Peep demande «une
décision partagée» et une présence des parents «moins guignolesque»… Car si
institutionnellement les parents sont représentés partout, du conseil d'école
au conseil académique en passant par le conseil supérieure de l'éducation, ils
n'ont pour l'heure qu'un rôle consultatif.
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